Le 26 août 1941, on peut lire dans la très célèbre et très austère revue médicale britannique The Lancet la relation d’une observation faite par le médecin australien Howard W. Florey (1898-1968), qui enseigne la pathologie à l’Université d’Oxford. Florey a, pour la première fois dans l’histoire de la médecine, injecté de la pénicilline à un patient atteint d’une infection grave, et il a obtenu la guérison du malade. La pénicilline entre dans l’histoire.
Cette molécule était déjà bien connue des médecins. On savait qu’elle était active contre les microorganismes pathogènes, en tout cas contre certaines bactéries. Mais on ne l’avait pas encore utilisée, car on n’était pas encore parvenu à en produire. C’est ce qu’avait su faire le docteur Florey, responsable de la Sir William Dunn School of Pathology à Oxford.
Sommaire
Histoire et invention des antibiotiques
Nous devons revenir en arrière, en 1928. Le docteur Alexandre Fleming (1881-1955) est un bactériologiste anglais qui a déjà apporté quelques résultats intéressants à la science des bactéries. Un jour de septembre 1928, il entre dans son laboratoire et constate qu’une boîte de Pétri, dans laquelle il avait cultivé des staphylocoques (des bactéries très pathogènes), est contaminée par une moisissure verte. Une boîte de Pétri est une espèce de boîte en verre, ronde, très utilisée par les bactériologistes. Tout l’art du manipulateur, en bactériologie, consiste à faire pousser la bactérie voulue dans des boîtes de ce genre, en évitant que d’autres micro-organismes ne s’introduisent dans la boîte. C’est exactement la même situation que celle du jardinier, qui doit lutter contre l’envahissement de son jardin par des mauvaises herbes. Les microbes qui contaminent le plus souvent les cultures bactériennes sont des moisissures. D’ailleurs, il suffit de laisser traîner un bout de pain dans une cuisine pour voir se former, plus ou moins rapidement, des taches blanches ou vertes. Ce sont des moisissures, dont les spores sont présentes dans l’atmosphère.
Bien, voilà qui n’a rien de remarquable. Même un excellent bactériologiste ne peut pas éviter les contaminations à 100 pour 100. Mais alors, le hasard ou je ne sais quoi intervient. Primo, ce qui est inhabituel, Fleming observe les moisissures. Généralement, quand on découvre une culture contaminée, on la jette à la poubelle ! Secundo, Fleming a l’idée de regarder non seulement la moisissure contaminante, mais aussi l’état des staphylocoques mis, par hasard, en contact avec la moisissure. Et voilà que le hasard va permettre à Fleming ce que certains historiens de la médecine appelleront la plus grande découverte médicale de tous les temps.
La moisissure est vite identifiée : Penicilllium notatum. Une moisissure verte proche de la moisissure du roquefort, Penicillium roqueforts. Quant à la bactérie, c’est extraordinaire ! Fleming constate que, autour des régions envahies par le Penicillium, il n’y a pas de staphylocoques ! C’est exactement comme si la moisissure répandait autour d’elle une substance, et que cette substance soit toxique pour la bactérie. Fleming appelle cette substance — hypothétique — la pénicilline. Il comprend l’intérêt théorique de sa découverte. Il fait des observations complémentaires. En 1929, il publie ses principaux résultats dans un article On the antibacterial action of cultures of a Penicillium, with special reference to their use in the isolation of B. influenzae, dans le British Journal of experimental pathology.
Mais Fleming ne prend pas conscience de l’immense potentiel thérapeutique qu’il vient de mettre à jour. Cependant, une chose est acquise pour la science médicale. Il existe des molécules qui sont toxiques pour les bactéries pathogènes. « Il n’y a plus qu’à les découvrir ! »
Qui a inventé les anti-biotiques ?
En 1932, c’est ce qu’espère Gerhard Domagk (1885-1955), qui travaille dans les laboratoires de l’IG Farben, la plus grande entreprise chimique allemande, fondée en 1925 par la fusion de plusieurs sociétés, et dont le nom complet est Interessengemeinschaft Farbenindustrie AG.
Domagk étudie notamment un colorant rouge que l’on vient de synthétiser, la sulfamidochrysoïdine, et il en injecte de petites doses à des souris infectées par des streptocoques. L’état des souris s’améliore. Le chercheur vient de trouver une substance de synthèse à effet bactéricide, ce que l’on va appeler un « antibiotique », terme qui convient aussi pour qualifier la pénicilline.
En 1935, IG Farben lance le produit sur le marché, sous le nom commercial de Prontosil. D’autres « sulfamides » antibiotiques suivront. Invention antibiotique.
C’est en cette année qu’Howard Florey est nommé professeur de pathologie à l’Université d’Oxford. Il est assisté par Ernst B. Chain (1906-1979), qui est lecturer en pathologie, c’est-à-dire maitre de conférences.
En 1938, Howard Florey et Ernst B. Chain apprennent l’existence de la pénicilline et ils se mettent au courant des travaux de Fleming. Ils ont la conviction qu’il y a là un chemin à suivre. Ils entament la production de pénicilline, à partir de Penicillium notatum. Leur laboratoire, à Oxford, devient une véritable petite usine, et ils obtiennent de la pénicilline en suffisance pour leurs expérimentations. En 1941, ils testent leur produit sur un sujet humain, avec le beau résultat que j’ai signalé ci-dessus.
Mais l’Angleterre est en guerre, ce qui signifie deux choses.
D’abord, la possession d’un antibiotique aussi efficace que semble l’étre la pénicilline serait un avantage formidable pour les armées, car les blessures de guerre s’infectent facilement. Ensuite, les entreprises anglaises sont toutes occupées à 100 %. Florey décide d’aller en Amérique, pour y convaincre de grandes entreprises pharmaceutiques d’entreprendre la production industrielle de pénicilline. Il se rend donc à New York (en 1941), et il parvient à convaincre des entreprises aussi importantes que Merck ou Pfizer.
La production en masse de pénicilline commence
Une des premières utilisations médicales de la pénicilline sera réalisée par Fleming lui-même, qui a pu traiter victorieusement un cas de méningite. Voir A. Fleming : « Streptococcal meningitis treated with penicillin», The Lancet 1943(2) : 434-438.
En 1945, le Prix Nobel de médecine est décerné à Alexandre Fleming, à Howard Florey et à Ernst B. Chain. Le fait est que, s’il n’y avait eu qu’un seul de ces trois, la pénicilline ne serait pas devenue le médicament efficace qu’elle fut pendant quelques années.
Cependant, les microorganismes sont des exemples parfaitement convaincants de la théorie de l’évolution biologique. En quelques générations — et, chez les bactéries, une génération dure une vingtaine de minutes —, il apparaît des mutants qui résistent aux sulfamides ou à la pénicilline. D’où la nécessité de chercher, toujours, de nouveaux antibiotiques.
Je ne les citerai pas tous.
Voici les dates de quelques découvertes. 1944: streptomycine ;
1947: chloramphénicol ;
1948: auréomycine ;
1949: néomycine ;
1949: actinomycine ;
1950: terramycine.