C’était déjà une évidence mais les expériences et découvertes récentes montrent à quel point nos chiens s’avèrent particulièrement doués pour sentir comment améliorer notre santé physique et psychique. Quel talent, nom d’un chien!
Depuis la fin du XXe siècle en Europe, les chiens sont de plus en plus formés dans des centres pour venir en aide aux personnes handicapées. Le chien sait aussi divertir des personnes âgées ou rassurer des personnes malades d’Alzheimer. Il est même un moyen pour lutter contre la solitude en ville, en recréant du lien entre les habitants. Baladez-vous avec votre chien et vous verrez comme il est facile d’engager la conversation avec des inconnus! C’est pourquoi le Comité OKA, qui lutte pour la préservation animale, s’est donné pour mission de réhabiliter le chien citadin car « une ville sans chien est une ville sans âme ».
« Le chien, c’est du bien-être, du plaisir, de la joie. Il capte nos émotions sans jamais nous juger, ce qui est capital pour des gens dégradés, malades, vieux ou mal dans leur tête », constate Isabelle de Tournemire. Elle connaît bien le sujet avec son association Parole de chien qu’elle a créée il y a seize ans à Paris, pour adoucir la vie et la terrible solitude des personnes âgées ou handicapées. Le principe de l’association : faire venir des bénévoles tous les quinze jours dans les hôpitaux et les Ehpad avec leurs chiens pour amuser, attendrir, divertir à coups de langue et de tendresse ceux que l’on oublie trop souvent. Une façon aussi de déclencher des émotions et des souvenirs.
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Le chien est le meilleur ami de l’homme
« Je me souviens d’un monsieur insupportable dans un hôpital de Boulogne, raconte Isabelle de Tournemire. Très colérique, il arrachait le papier peint, hurlait et faisait peur à tout le monde. Un jour, je suis venue avec une jeune bénévole qui avait un golden. Du jour au lendemain, il a commencé à changer, à se laver, à communiquer. Il a fini par nous parler du ber-
ger allemand qu’il avait eu autrefois. Le golden avait réussi ce que les humains ne parvenaient pas à faire. »
Nos chiens peuvent nous surpasser, surtout au regard de nos dernières découvertes sur leur finesse olfactive. Déjà capables de détecter des personnes disparues, des drogues ou des fuites de gaz, ils peuvent dépister certains cancers. On s’en est aperçu par hasard, parce que des chiens aboyaient en reniflant certaines parties du corps de leurs maîtres. Plusieurs études ont montré qu’un chien peut révéler un cancer du sein, de la peau, de la prostate, du poumon, de l’ovaire ou colorectal. Une découverte qui pourrait rendre la détection des cancers moins difficile, comme l’explique Isabelle Fromantin, chercheuse à l’Institut Curie 2, dans Blouse blanche et poils de chiens . Mais « il n’y a pas de contact entre l’animal et les patientes », rappelle Isabelle Fromantin. « La femme met une lingette sur le sein, dort avec et c’est la sueur qui va être analysée par le chien. » En attendant la mise en place de ces programmes, l’association Handi’chiens travaille sur la prévention des crises d’épilepsie. On s’est rendu compte, encore par hasard, que certains chiens prévoient la crise d’épilepsie de leur maître. Le procédé est déjà développé dans certains pays comme l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique ou les États-Unis. En France, Handi’chiens est la première association à se lancer dans cette voie prometteuse.
L’un de ses membres, le docteur Jean-Luc Schaff, est neurologue à l’hôpital de Nancy et responsable d’un établissement pour personnes souffrant d’épilepsie sévère à Flavigny-sur-Moselle. Étonné par des réflexions de ses patients, comme « c’est bizarre, mon chien a un drôle de comportement, comme s’il sentait que j’allais avoir une crise », il constitue un questionnaire qui lui confirme cette piste et découvre les rares travaux existants lors d’un symposium en Belgique.
Le chien au service des patients atteint d’épilepsie
« Ce n’était pas évident car il y a peu d’études. Comment le chien pressent-il la crise? Est-ce grâce à un changement de la pupille, une accélération du rythme cardiaque? On n’a aucune preuve. On travaille sur deux hypothèses. En premier, celle du comportement qu’ont choisi les Anglais. Ils installent des patients avec leurs chiens dans des « Epi-House », des maisons bardées de caméras pour filmer et comprendre quels indices annonciateurs les chiens détectent dans l’attitude de leur maître. C’est passionnant mais très coûteux. Nous avons opté pour la deuxième piste, celle des Américains, qui concerne l’odorat. »
La pionnière est une Franco-Américaine, Jennifer Cattet, qui travaille sur l’odorat du chien depuis trente ans. « Nous collaborons avec elle pour apporter des preuves scientifiques, précise le docteur Schaff. Nous demandons aux patients de prélever avec un coton de la sueur sur leur visage après avoir couru, quand il fait chaud, après une crise d’épilepsie, etc. Le but est de récolter des molécules afin de faire des comparaisons et d’éduquer les chiens à reconnaître ces odeurs. »
La rigueur scientifique devient une nécessité vu la gravité de l’épilepsie, qui concerne 500000 Français. « C’est une maladie terrible car elle fait peur et les patients se sentent rejetés. Un chien peut transformer la vie du malade, qui va oser sortir et faire du sport car il sera rassuré », souligne le docteur Schaff, qui collabore au programme Epidog, un protocole de recherche sur lequel travaille l’équipe d’EthoS, le laboratoire d’éthologie animale et humaine de la faculté de Rennes. « C’est un programme scientifique très ambitieux qui sera le premier du genre en France. Nous sommes aux prémices d’un grand mouvement de médiation animale », s’enthousiasme Jean-Luc Schaff.
En attendant cette validation scientifique, l’association Handi’chiens ne perd pas son temps. Depuis deux ans, trois éducateurs ont formé trois chiens qui ont été remis gratuitement à des patients en février dernier. Le but : dix à quinze chiens chaque année, tant la demande est forte. Un programme financé grâce aux dons et au mécénat qui font vivre l’association, ainsi qu’au travail des bénévoles. Mais l’éducation est complexe, comme le rappelle le docteur, et demande des conditions : « Je les appelle les 5 B : le bon projet, le bon chien, la bonne personne, le bon endroit, le bon moment. » On pourrait rajouter la bonne relation. Car si certains handicaps nécessitent une formation très technique pour le chien, le succès pour l’épilepsie réside dans la complicité qu’il aura avec l’humain.
Un de ces éducateurs, Ulrick Deniau, confirme que ce n’est pas une question de race mais de caractère :
« On cherche des chiens très observateurs, car les réactions physiologiques du patient se lisent sur son visage. Il faut donc un chien qui ne vous lâche pas d’une semelle. On obtient aujourd’hui 80 % de réussite. Certains chiens n’y parviennent pas et on ignore pourquoi. Mais réagir à l’odeur ne suffit pas, le chien va ensuite apprendre à protéger son maître par toute une série de gestes : apporter le téléphone, appuyer sur un bouton d’urgence, apaiser le malade en se blottissant contre lui… »
Chez Acadia aussi, on cherche à repérer des chiens « velcro ». Cette association, créée en 2015, est la première en France à travailler sur l’accompagnement des diabétiques. Elle se sert de la réactivité du chien face à une crise d’hypo ou d’hyperglycémie, constatée dans plusieurs études de cas . Bien que le mécanisme de détection d’une crise diabétique par le chien ne soit pas encore élucidé, Acadia a décidé de s’appuyer sur les travaux de la Franco-Américaine Jennifer Cattet 5: selon la chercheuse et éducatrice canine, le chien est capable de sentir des variations du taux de sucre grâce à son odorat. Acadia vient juste de remettre trois chiens à de jeunes diabétiques, un caniche royal et deux croisés belges. Des renifleurs de diabète drôlement doués ! Une fois qu’ils ont prévu la crise, ils préviennent les parents en appuyant le museau de façon insistante sur leurs genoux pour qu’ils fassent une analyse glycémique de l’enfant. Aucun parent n’est présent? Ils se précipitent sur un bouton d’alerte relié à la famille ou l’équipe médicale. Puis ils apportent le téléphone pour que l’enfant appelle, sa trousse médicale et tout objet nécessaire pour lui éviter un malaise.
Le chien un animal au service du bien-être humain ?
Tous les chiens en sont-ils capables? « Nous n’avons pas repéré de races spécifiques, note Florine Muflier, qui pilote Acadia. C’est surtout une question de caractère. Nous préférons les chiens de refuge. C’est la rencontre entre un jeune qui a des problèmes de santé et un chien qui a été abandonné, deux êtres malmenés par la vie. Nous faisons d’ailleurs très attention à la vie du chien car il a de grosses responsabilités. Il doit aussi avoir des loisirs et du repos pour qu’il soit bien dans sa tête. »
De son côté, l’association Les chiens du silence éduque les chiens pour aider les personnes sourdes. Elle ne travaille qu’avec des bergers australiens d’élevage, par souci d’efficacité car ils possèdent naturellement toutes les qualités requises. Pour protéger leur troupeau, ils ont appris depuis toujours à observer son environnement, à repérer les dangers, interpréter les bruits et prendre rapidement une décision.
Résultat : après une formation de six mois, ils sont capables de réveiller leur maître quand le réveil sonne et de lui signaler que son enfant pleure, qu’il a reçu un SMS, que quelqu’un frappe à la porte ou que les pâtes sont prêtes. De quoi redonner au maître confiance en lui, chez lui mais aussi à l’extérieur, son chien écouteur le prévenant qu’une moto arrive ou que son voisin l’appelle tout en connaissant les ordres par la voix et par le langage des signes.
Les soins grâce au chien se développent un peu partout. En particulier aux États-Unis, où les chiens aident les soldats traumatisés rentrant d’Irak, préviennent les crises cardiaques et aident les enfants victimes du syndrome d’alcoolisation foetale. En France, nous découvrons leur empathie envers les personnes ayant une maladie psychiatrique.
Au centre hospitalier Philippe-Pinel à Amiens, l’infirmier cynothérapeute William Lambiotte a eu l’idée en 2010 de faire venir des chiens auprès des patients. Les résultats ont été immédiats. Promenade, caresses, jeu… S’occuper de cet « antidépresseur » sur pattes apaise les patients. Moins d’anxiété, davantage d’envie de parler avec les autres, de s’ouvrir sur l’extérieur… Les bienfaits sont si nombreux que les malades prennent moins de traitements psychotropes. « L’idée m’est venue car j’ai été éducateur et comportementaliste canin et j’avais remarqué que lorsqu’un chien ne va pas bien, son entourage va mal, explique William Lambiotte. Je me suis donc dit qu’a contrario, si on met un chien bien dans sa tête avec des gens qui vont mal, cela peut les aider. Et en effet, c’est miraculeux ! Mais pour que cela fonctionne, tout doit passer par le plaisir et la sécurité du chien. J’ai éduqué mes quatre chiennes dans l’hôpital avec des jeux. Donc pour elles, l’hôpital est un grand parc de jeu ! Alors qu’aux États-Unis, 80 % des hôpitaux sont ouverts aux chiens, en Europe le sujet reste difficile pour des questions d’hygiène. Mais j’ai parrainé un autre programme dans un hôpital psychiatrique de Liège en Belgique qui a ouvert en mai. J’espère que cela se développera car les résultats sont étonnants. Je me souviens notamment d’une femme de 20 ans qui avait environ 4 ou 5 ans en âge mental et qui se mutilait. À la première séance, je lui ai expliqué qu’un chien ne se fait jamais mal à lui-même car il n’y a aucun intérêt pour lui. Du jour au lendemain, elle ne s’est plus jamais mutilée! »
Encore un succès que la science ne démontre pas. Quel est l’avenir de toutes ces expériences? Nul ne le sait encore…